Dans son arrêt 6B_1211/2023, le Tribunal fédéral opère un revirement de jurisprudence sur la gestion déloyale. Une distribution dissimulée de bénéfice réalisée par l’organe d’une société surendettée, en faveur d’un organe, actionnaire ou tiers, réalise les éléments objectifs constitutifs d’une gestion déloyale. Au regard de cette jurisprudence, il suffit que la fortune brute de la société soit diminuée pour qu’une infraction de gestion déloyale puisse être retenue.
A est l’actionnaire unique et président du conseil d’administration de C SA. En septembre 2010, la société présentait des fonds propres négatifs de CHF 480’000 et des dettes ouvertes de CHF 609’000, caractérisant un surendettement avéré. Dans ce contexte, le groupe X a entamé des discussions en vue d’une prise de participation dans C SA. A cette fin, plusieurs prêts ont été octroyés à la société, pour un total de CHF 200’000 et EUR 320’000.
Malgré l’état de surendettement, A s’est versé un salaire de CHF 5’000 par mois, a imputé à la société les frais liés à deux véhicules de luxe ainsi qu’à un appartement de luxe et a effectué des prélèvements privés d’un total de CHF 252’907 en 6 mois. Ces fonds ont été utilisés pour des dépenses personnelles. La faillite de X SA a été prononcée en mai 2011, les créances produites par les tiers s’élevaient à CHF 2’486’381.
En droit suisse, une société anonyme dispose d’un patrimoine propre, distinct de celui de ses organes. Toute distribution dissimulée de bénéfice et tout acte de disposition du patrimoine de la société au profit d’un organe, actionnaire, constitue un acte de disposition illicite susceptible de réaliser les éléments objectifs d’une gestion déloyale.
La gestion déloyale étant une infraction de résultat, il était admis de jurisprudence constante que seule une atteinte à la fortune nette de la société remplissait les éléments objectifs de l’infraction. Ainsi, le Tribunal fédéral retenait jusqu’ici que l’atteinte à la fortune nette était impossible en présence d’une société en surendettement, de sorte qu’une condamnation pénale n’aurait pas été envisageable dans le cas d’espèce.
Dans l’arrêt 6B_1211/2023, le Tribunal fédéral opère un revirement de jurisprudence, qui va aboutir à la condamnation du prévenu. Il retient que les prélèvements opérés par un organe sur le patrimoine d’une société surendettée frustrent le droit au remboursement des créanciers de la société qui ont avancé des fonds. Dans cette mesure, un tel comportement représente une sérieuse atteinte à l’ordre juridique, qui tombe sous le coup des dispositions pénales sanctionnant la gestion déloyale.
En conséquence, il est désormais retenu qu’une atteinte à la fortune brute d’une société suffit à réaliser les éléments objectifs constitutifs d’une gestion déloyale, ce qui élargit considérablement la portée pratique de telles condamnations, puisque c’est le plus souvent en présence d’une société obérée que de tels actes aboutiront au dépôt d’une plainte pénale.
À noter enfin que cette infraction entre en concours idéal avec les infractions en matière de faillite.

